Le droit des délégués du personnel à se faire assister par un représentant syndical de leur organisation, un droit acquis depuis la deuxième des lois Auroux de 1982 ?
Pas si sûr ! Cinq années durant, la CFDT a dû batailler ferme devant les tribunaux, afin de faire en sorte que ce droit soit pleinement mobilisable par tous les délégués du personnel, dans toutes les entreprises. Avec, comme point d’orgue, un arrêt de la Cour de cassation, synonyme de victoire syndicale ( Cass. soc. 28. 01.15, n° 13-24.242 ).
Le droit à l’assistance syndicale des délégués du personnel en question
À l’occasion des réunions qu’ils ont mensuellement avec l’employeur, « les délégués du personnel peuvent, sur leur demande, se faire assister d’un représentant d’une organisation syndicale ».
Voilà ce que précise, depuis le 28 octobre 1982, l’article L. 424-4 alinéa 3 du Code du travail, devenu l’article L. 2315-10 alinéa 2. Pour tout un chacun, c’est clairement le droit pour les délégués du personnel à se faire assister par un représentant de leur organisation syndicale qui a été ici consacré.
En conséquence, lorsque, dans une entreprise donnée, des délégués du personnel présentés par des organisations syndicales différentes ont été élus, ils devraient, chacun d’entre eux, pouvoir recourir aux services de leur propre représentant syndical. Une telle approche était d’ailleurs confortée par le fait que, de longue date, l’administration du travail a précisé que « seuls les délégués du personnel titulaires sont en mesure d’user de ce droit » (1) et que « seule la présence de deux représentants d’une seule et même organisation syndicale ne saurait être tolérée » (2).
Les faits à l’origine du litige
Au sein de la société Interpane Glass France, l’interprétation de ce droit s’est faite, pourtant, bien plus restrictive. C’est ainsi que, lors de la réunion employeur / délégués du personnel du 25 mai 2010, il fut signifié à ces derniers que le droit à assistance devait désormais s’entendre comme un représentant syndical pour l’ensemble des délégués du personnel et non pas un représentant syndical pour chaque délégué du personnel, en fonction de son appartenance syndicale.
Or, lorsque l’on sait que, dans l’entreprise Interpane Glass France, les délégués du personnel CFDT Chimie énergie Lorraine évoluaient au côté de délégués du personnel CFE-CGC, FO et CGT, on imagine la perplexité dans laquelle un tel positionnement patronal a pu placer l’ensemble des élus et des organisations syndicales concernés.
En effet, comment les délégués du personnel pouvaient-ils, dans un tel contexte, être à même de choisir leur représentant syndical « unique » ? Fallait-il le tirer à la courte paille ou bien, comme n’hésitait pas à le suggérer la partie employeur, organiser des « tours de rôle », malgré les conséquences redoutables que cela n’aurait pas manqué d’avoir sur l’institution représentative et son fonctionnement ?
Une telle approche, seulement faite de défiance était, pour la CFDT, inacceptable. Ce d’autant plus qu’elle ne pouvait que générer, d’une part, une inégalité de traitement injustifiée entre les organisations syndicales présentes dans l’entreprise et, d’autre part, un inévitable éloignement des délégués du personnel de leur organisation syndicale.
L’interprétation de l’article L. 2315-10 alinéa 2 en débat
Le syndicat CFDT chimie énergie Lorraine n’a eu d’autre choix que de saisir, en référé, la présidente du tribunal de grande instance de Sarreguemines afin que, sous astreinte de 2 000 € pour jour de retard, soit ordonné à la société de laisser accéder aux réunions mensuelles, un représentant de chacune des organisations syndicales ayant des délégués du personnel.
Le Tribunal de grande instance de Sarreguemines lui a donné raison, mais pas la Cour d’appel de Metz qui se rangea, elle, à l’interprétation restrictive de l’employeur.
Le syndicat ne pouvait en rester là. Il a donc formé un pourvoi contre cette décision. Bien lui en a pris car l’arrêt qui vient tout juste d’être rendu par la Cour de cassation a le mérite de retenir une interprétation bien plus conforme à l’esprit du texte puisqu’il précise expressément que « l’article L. 2315-10 alinéa 2 ne limite pas à un représentant le nombre de représentants syndicaux pouvant être appelés à assister les délégués du personnel » lors des réunions mensuelles « mais à un représentant par confédération syndicale ».
Et bien qu’une telle position soit en deçà de celle qui avait été initialement retenue par l’administration du travail (qui, rappelons-le, admettait « la présence de deux représentants d’une seule et même organisation syndicale »), elle a clairement le mérite de sécuriser l’ensemble de nos délégués du personnel en leur garantissant une parfaite effectivité de leur droit à assistance syndicale CFDT.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il aura donc fallu attendre un peu plus de 32 ans pour que, sous l’impulsion de la CFDT, une telle interprétation jurisprudentielle se fasse jour.
Cass. soc. 28. 01.15, n° 13-24.242
(1) Circulaire ministérielle DRT n° 5, 28 juin 1984.
(2) Réponse ministérielle n° 31081, JO AN, 18 janvier 1988.